depuis quand on dit "Il était une fois" .
In: Littérature
4
juin
2010
L’expression, inventée par Charles Perrault a été utilisée pour la première fois en 1694 dans le conte « Les souhaits ridicules », une sombre histoire de bûcheron et de boudin.
- Si vous étiez moins raisonnable.
- Je me garderais bien de venir vous conter
- La folle et peu galante fable
- Que je m’en vais vous débiter.
- Une aune de boudin en fournit la matière.
- « Une aune de boudin, ma chère !
- Quelle pitié ! c’est une horreur ! », .
- S’écriait une précieuse,
- Qui, toujours tendre et sérieuse,
- Ne veut ouïr parler que d’affaires de coeur.
- Mais vous qui mieux qu’âme qui vive
- Savez charmer en racontant,
- Et dont l’expression est toujours si naïve,
- Que l’on croit voir ce qu’on entend;
- Qui savez que c’est la manière
- Dont quelque chose est inventé,
- Qui beaucoup plus que la matière
- De tout récit fait la beauté.
- Vous aimerez ma fable et sa moralité;
- J’en ai, j’ose le dire, une assurance entière.
- Il était une fois un pauvre bûcheron
- Qui las de sa pénible vie,
- Avait, disait-il, grande envie
- De s’aller reposer aux bords de l’Achéron;
- Représentant, dans sa douleur profonde,
- Que depuis qu’il était au monde,
- Le Ciel cruel n’avait jamais
- Voulu remplir un seul de ses souhaits.
- Un jour que, dans le bois, il se mit à se plaindre,
- A lui, la foudre en main, Jupiter s’apparut.
- On aurait peine à bien dépeindre
- La peur que le bonhomme en eut :
- « Je ne veux rien, dit-il, en se jetant par terre,
- Point de souhaits, point de Tonnerre,
- Seigneur, demeurons but à but.
- – Cesse d’avoir aucune crainte :
- Je viens, dit Jupiter, touché de ta complainte,
- Te faire voir le tort que tu me fais.
- Ecoute donc : je te promets,
- Moi qui du monde entier suis le souverain maître,
- D’exaucer pleinement les trois premiers souhaits
- Que tu voudras former sur quoi que ce puisse être.
- Vois ce qui peut te rendre heureux.
- Vois ce qui peut te satisfaire;
- Et comme ton bonheur dépend tout de tes voeux,
- Songes-y bien avant que de les faire. »
- A ces mots Jupiter dans les cieux remonta,
- Et le gai bûcheron, embrassant sa falourde,
- Pour retourner chez lui sur son dos la jeta.
- Cette charge jamais ne lui parut moins lourde.
- « Il ne faut pas, disait-il en trottant,
- Dans tout ceci, rien faire à la légère;
- Il faut, le cas est important,
- En prendre avis de notre ménagère.
- Çà dit-il, en entrant sous son toit de fougère,
- Faisons, Fanchon, grand feu, grand chère,
- Nous sommes riches à jamais,
- Et nous n’avons qu’à faire des souhaits. »
- Là-dessus tout au long le fait il lui raconte.
- A ce récit, l’épouse vive et prompte
- Forma dans son esprit mille vastes projets;
- Mais considérant l’importance
- De s’y conduire avec prudence :
- « Blaise, mon cher ami, dit-elle à son époux,
- Ne gâtons rien par notre impatience;
- Examinons bien entre nous
- Ce qu’il faut faire en pareille occurrence;
- Remettons à demain notre premier souhait
- Et consultons notre chevet.
- – Je l’entends bien ainsi, dit le bonhomme Blaise.
- Mais va tirer du vin derrière ces fagots. »
- A son retour il but, et goûtant à son aise
- Près d’un grand feu la douceur du repos,
- Il dit, en s’appuyant sur le dos de sa chaise :
- « Pendant que nous avons une si bonne braise,
- Qu’une aune de boudin viendrait bien à propos ! »
- A peine acheva-t-il de prononcer ces mots,
- Que sa femme aperçut, grandement étonnée,
- Un boudin fort long, qui partant
- D’un des coins de la cheminée,
- S’approchait d’elle en serpentant.
- Elle fit un cri dans l’instant;
- Mais jugeant que cette aventure
- Avait pour cause le souhait
- Que par bêtise toute pure
- Son homme imprudent avait fait,
- Il n’est point de pouille et d’injure
- Que de dépit et de courroux
- Elle ne dit au pauvre époux.
- « Quand on peut, disait-elle, obtenir un empire,
- De l’or, des perles, des rubis,
- Des diamants, de beaux habits,
- Est-ce alors du boudin qu’il faut que l’on désire ?
- – Hé bien, j’ai tort, dit-il, j’ai mal placé mon choix,
- J’ai commis une faute énorme,
- Je ferai mieux une autre fois.
- – Bon, bon, dit-elle, attendez-moi sous l’orme,
- Pour faire un tel souhait, il faut être bien boeuf ! »
- L’époux plus d’une fois, emporté de colère,
- Pensa faire tout bas le souhait d’être veuf,
- Et peut-être, entre nous, ne pouvait-il mieux faire :
- « Les hommes, disait-il, pour souffrir sont bien nés !
- Peste soit du boudin et du boudin encore;
- Plût à Dieu, maudite pécore,
- Qu’il te pendît au bout du nez ! »
- La prière aussitôt du Ciel fut écoutée,
- Et dès que le mari la parole lâcha,
- Au nez de l’épouse irritée
- L’aune de boudin s’attacha.
- Ce prodige imprévu grandement le fâcha.
- Fanchon était jolie, elle avait bonne grâce,
- Et pour dire sans fard la vérité du fait,
- Cet ornement en cette place
- Ne faisait pas un bon effet;
- Si ce n’est qu’en pendant sur le bas du visage,
- Il l’empêchait de parler aisément.
- Pour un époux merveilleux avantage,
- Et si grand qu’il pensa dans cet heureux moment
- Ne souhaiter rien davantage.
- « Je pourrais bien, disait-il à part soi,
- Après un malheur si funeste,
- Avec le souhait qui me reste,
- Tout d’un plein saut me faire roi.
- Rien n’égale, il est vrai, la grandeur souveraine;
- Mais encore faut-il songer
- Comment serait faite la reine,
- Et dans quelle douleur ce serait la plonger
- De l’aller placer sur un trône
- Avec un nez plus long qu’une aune.
- Il faut l’écouter sur cela,
- Et qu’elle-même elle soit la maîtresse
- De devenir une grande Princesse
- En conservant l’horrible nez qu’elle a,
- Ou de demeurer Bûcheronne
- Avec un nez comme une autre personne,
- Et tel qu’elle l’avait avant ce malheur-là. »
- La chose bien examinée,
- Quoiqu’elle sût d’un sceptre et la force et l’effet,
- Et que, quand on est couronnée,
- On a toujours le nez bien fait;
- Comme au désir de plaire il n’est rien qui ne cède,
- Elle aima mieux garder son bavolet
- Que d’être reine et d’être laide.
- Ainsi le bûcheron ne changea point d’état,
- Ne devint point grand potentat,
- D’écus ne remplit point sa bourse :
- Trop heureux d’employer le souhait qui restait,
- Faible bonheur, pauvre ressource,
- A remettre sa femme en l’état qu’elle était.
- Bien est donc vrai qu’aux hommes misérables,
- Aveugles, imprudents, inquiets, variables,
- Pas n’appartient de faire des souhaits,
- Et que peu d’entre eux sont capables
- De bien user des dons que le Ciel leur a faits.